Le sang bat à ses tempes, tandis que la petite fille court dans les rues.
Elle essaie de se souvenir des évènements tout en luttant contre ses larmes et son corps qui la faisait souffrir.

Soudain, elle voit le début.
Là où tout a commencé. Son enfance.

Elle n’a que peu de souvenirs de ses parents biologiques ; sa mère, grande et blonde, son père petit mais tout aussi blond, tout deux de magnifiques fées aux ailes translucides et colorées.
Et un jour, ils avaient disparus. Quand, comment ? Impossible de s’en souvenir. Le fait est qu’elle ne les avait plus jamais revus.
Elle avait été placée dans une famille d’accueil qui, malgré toute leur bonté n’avait jamais pu remplacer ses vrais parents. Elle était plutôt réservée, mais s’intégrait bien au reste des enfants, sa gentillesse compensant son côté introverti.

Aerie avait cependant un problème. Ses ailes ne poussaient pas et elle n’arrivait pas à se transformer en luciole. De plus, à son contact, les plantes semblaient pousser de façon anormale et se « pervertir » (une tulipe pouvait soudain faire un mètre de long et devenir épineuse sans raison).
Les enfants commencèrent lentement à s’éloigner d’elle et de l’exclure, sous la demande expresse de leurs parents, persuadés que cette fille aurait une mauvaise influence sur eux.
Ses parents quant à eux, ignorèrent cet aspect « bizarre » qu’ils considéraient comme une croissance difficile de la jeune fée.

Puis vient la nuit fatidique. Alors qu’elle allait se coucher, le soir de ces dix ans, Aerie ressentit une douleur terrible dans tout son corps et s’effondra immédiatement, en sueur. Elle essaya d’atteindre son lit, tout en étant à moitié aveuglée par la lumière éclatante de la pleine lune.
Puis soudain, le néant.
Et quand elle se réveilla, ses deux parents gisaient à ses pieds, l’un asphyxié, l’autre baignant dans son sang. La jeune fée regarda ses mains pendant quelques minutes, incapable du moindre mouvement, puis se mis à courir, d’abord errant sans but, puis essayant de s’éloigner le plus possible de la foule et du centre-ville.

Elle voit un porche abandonné, s’y abrite – grelotante.
Aerie a froid, peur, mal.
Mais elle refuse de dormir. Elle ne veut plus faire de mal ; plus jamais.

Peu de temps après, des loups-garous l’avaient trouvée dans un sale état, allongée sous le même porche, couverte de sang coagulé et qui semblait éveillée depuis des heures.
Ils décidèrent donc de la soigner avant de la ramener chez elle (en l’interrogeant d’abord sur sa présence) et l’amenèrent donc dans la maison la plus proche.
Aerie se laissa faire et malgré son état ne put s’empêcher de remarquer la surprise générale quand les lycans découvrirent qu’elle n’avait aucune plaie et donc que le sang ne pouvait être le sien.
Elle décida donc de leur dire toute la vérité, même si elle n’avait pas la moindre idée de ce que celle-ci pouvait signifier ; cependant, là où elle avait échouée à comprendre, les lycans comprirent immédiatement.

Alors qu’Aerie s’attendait à se faire jeter dehors, les lycans l’acceptèrent parmi eux. Ce genre de comportement était fréquent à la pleine lune et des meurtres dans une propre famille étaient courants. De plus, ils n’avaient jamais eu à se plaindre des fées et, si elle décidait de rester, elle pourrait être utile à la communauté à sa façon.
Un seul moment de malaise apparût, quand les loups nettoyèrent son dos, qui révéla un tatouage qui en prenait toute la largeur et dont la fée ne connaissait pas l’existence puisqu’il venait d’apparaître. Un lotus noir.
Ainsi, Aerie fût acceptée parmi les loups-garous qui la couvrirent pour le meurtre en prétendant ne jamais l’avoir vu et fût même éduquée avec les autres enfants-loups. Son adolescence fût plutôt calme (comment peut-on avoir une adolescence parfaitement calme parmi des loupiots turbulents ?) et elle finit ses études de médecines très rapidement, animée par une soif de savoir peu commune.
Elle fût donc autorisée à ouvrir une pharmacie dans le bâtiment où elle s’était autre fois abritée et à rénover l’appartement au premier étage.
Tout semblait se passer pour le mieux…

… C’était sans compter sur le lotus noir.
A chaque fois que la pleine lune se montrait, Aerie perdait immédiatement connaissance mais à sa grande surprise, il ne se passait jamais rien, même si elle se réveillait dans un endroit totalement aléatoire de l’Allée des loups. Elle ne savait pas ce qu’elle devait en déduire, mais l’absence de victimes était loin de la déranger.
Et tout alla bien pour de nombreuses années, lui faisant baisser sa garde au point qu’un jour le pire finit par arriver. Elle oublia le jour de la pleine lune et se retrouva dans une ruelle de l’Allée des nœuds avant de perdre conscience. Lorsqu’elle s’éveilla à l’aube, allongée sur le sol froid, elle aperçut des pieds flotter au vent.
Relevant la tête, elle se rendit soudain compte qu’elle était entourée de trois bandits pendus haut et court, saignant comme des cochons.
Prise de panique, la fée courut jusqu’à son appartement et s’enferma, en essayant de ne pas s’effondrer.
Pourquoi avait-elle tué ces gens ? Comment ?
Pourquoi n’avait-elle eu jamais eu de problèmes pendant toutes ces années avec les lycans alors qu’elle avait commis un massacre dès sa première pleine lune chez les humains ?
Car oui, elle ne pouvait pas le nier, c’était elle qui avait commis ces crimes, Aerie le savait au fond d’elle.
Et plusieurs détails commencèrent à s’assembler :

Par quoi étaient pendus les bandits ? Des lianes.
Qu’étaient les lycans ? Des bêtes.

Soudain la fée comprit alors que ce qui se passait avait un rapport avec la nature et les plantes. En devenait-elle une ? Non, sinon elle n’aurait pas pu tuer ces personnes. Une symbiose peut-être ? Jamais vu, mais possible. Peut-être que tout ça avait un rapport avec le lotus, mais lequel ?
Il lui manquait trop de données.
Elle s’approcha alors du grand miroir au fond de la pièce. Ces longs cheveux blonds et ces yeux bleu-gris étaient-ils ceux d’un monstre ? Ces mains douces et fines pouvaient-elles vraiment tuer ? Sa grande taille lui donnait-elle un avantage sur ses victimes ?
Aerie secoua sa tête pour chasser ces sombres pensées et décida de se concentrer sur le présent. Elle ne devrait plus jamais se balader pendant la pleine lune et toujours redoubler de prudence avec ses pouvoirs.

C’était son fardeau. Et elle le porterait.
Sans faillir.