" Les gens légers, bornés, les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose une conclusion ; ils cherchent le but de la vie et la dimension de l'infini. Ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée de sable et ils disent à l'Océan : Je vais compter les grains de tes rivages. Mais comme les grains leur coulent entre les doigts et que le calcul est long, ils trépignent et ils pleurent. "▬ Gustave Flaubert

Adriel a toujours connu les mers et les océans, il a navigué dans la plupart d'entre eux dés son plus jeune âge. Sa mère, Derya, était une sirène aventurière, avide de liberté et curieuse de découvrir le monde. C'est au cours d'un de ses périples près des côtés méditerranéennes qu'elle rencontra le père d'Adriel, un triton répondant au doux nom de Neréïs. Tous deux étaient relativement jeunes et inexpérimentés pour avoir un enfant, mais ils ne s'en souciaient guère. Quelques mois plus tard, Adriel fit son apparition, jeune bébé triton au visage angélique. Ses écailles présentait un large panel d'ocre et d'or, comme celle de sa mère. Cherchant à protéger cet enfant de la cruauté et de la dangerosité des Hommes, Derya et Neréïs voguèrent vers des eaux nouvelles, en plein océan Pacifique, vers les eaux maternelles de la jeune Derya. Autant dire qu'à son retour, tout nouvellement mariée et avec un bébé, sa famille ne fut pas des plus ravies. D'autant plus que Neréïs était un étranger, un triton d'un clan rival. L'intégrer au sein d'un nouveau clan s'avéra des plus compliqué. Néanmoins, avec le temps, la petite famille Dazzlerain finit par très vite s'accomoder aux eaux chaudes du Pacifique. Si l'on écarte un incident majeur impliquant un requin au tempérament des plus râleur, le jeune Adriel connut une enfance relativement normale et heureuse. Enfin, normale pour un triton, cela va de soi.

Ayant toujours été prévenu des dangers que représentaient la terre ferme, Adriel ne s'y aventura jamais - du moins, dans un premier temps. L'océan lui suffisait. Il aimait nager des heures durant et s'aventurer aussi loin que ses écailles et sa queue pouvait le porter, quitte à subir les remontrances de ses parents bien plus tard. Adriel appréciait sa vie de triton, aimant discuter avec la faune locale, et jouant avec les autres enfants du clan. Plus il vieillissait, plus Adriel profitait pleinement des merveilles que l'océan avait à offrir. Il déplorait la pollution de son cher foyer au même titre que ses congénères, blâmant ces Hommes qu'ils n'avaient jamais vu. Ces Hommes qui détruisaient sa maison et ses habitants.

Mais avec le temps, et une fois l'âge de raisonner par lui-même, Adriel devint curieux de ces mêmes Hommes. On les disait semblable, mais pourvus de membres inférieurs bien trop rigides pour pouvoir nager, qui leur permettaient de courir et sauter. Les mots étaient étrangers à Adriel, tout comme le concept même de jambes. Lui qui n'avait connu que des créatures dotés d'une queue ou d'organe similaire, avait bien du mal à s'imaginer quelque chose d'aussi futile et ordinaire qu'une paire de jambes.

Un jour d'été, la curiosité l'envahit donc et il nagea jusqu'aux rives australiennes, porté par les vagues. Et c'est là qu'il les aperçut, les Hommes. Adriel put enfin identifier leurs jambes et mettre une image sur ce mot qui jusqu'alors lui était totalement dénué de sens. Il les contempla et les observa de loin, à l'abri de leurs regards indiscrets. Loin de lui l'idée de s'exposer ainsi, il n'avait pas envie de finir en poisson surgelé ! Les Humains semblaient bel et bien avoir oublié jusqu'à l'existence de créatures surnaturelles, toujours était-il qu'il ne préférait pas prendre de risques inutiles. C'est également ce jour, à sa plus grande surprise, qu'il se découvrit lui aussi une belle paire de jambes ! S'étant beaucoup trop éloigné du rivage, sa queue avait fini par se transformer pour ne laisser place qu'à ces deux membres bien trop raides et disproportionnés au goût d'Adriel. Quant aux doigts de pieds, ils ressemblaient à s'y méprendre à de monstrueux petits vers défigurés. Non, Adriel n'était définitivement pas un très grand fan de ce moyen de transport, des plus lent. Surtout que pour s'en servir, cela relevait du parcours du combattant ! Nager semblait si simple en comparaison. Mais encore une fois, les Hommes auraient pu penser la même chose à leur sujet.

Adriel ne se formalisa pourtant pas de toutes ces nouveautés et partit à la découverte du monde des Hommes, et sur la terre qui plus est ! Tout y était si différent et si petit en comparaison aux villes aquatiques de ses congénères. Mais, les sirènes sont connues pour leur éternelle vanité et égocentrisme. Il fallait que ça brille, et il fallait que cela soit grandiose. Chez les êtres humains, en revanche, bien que leur ville soit des plus tape-à-l'oeil, il dénotait plus une notion de puissance que de véritable vanité. Adriel fut pris d'un élan de curiosité aigu, et s'enfonça un peu plus dans le monde des Hommes, avide de connaissance vis-à-vis de ce monde voisin au sien, et pourtant si éloigné.

Lorsqu'il retourna chez les siens, il n'eut pas vraiment le courage de parler de son voyage dans le monde du dessus, et resta donc muet. Qui de sain voudrait subir les foudres de tout un peuple sous prétexte que l'on est peu trop curieux pour son bien ? En tout cas, Adriel n'allait pas prendre ce risque.
Lorsqu'il atteint l'âge de la trentaine - un âge encore relativement jeune pour les sirènes et autres tritons - sa famille - ou du moins ses parents - migrèrent de nouveau, cette fois-ci vers les côtes américaines. Il faut croire que la lassitude et l'envie de changer d'air - enfin, d'eau plutôt - leur était devenu un besoin urgent, aussi avait-il quitté leur clan pour de nouvelles aventures en eaux inconnues. Les baies américaines étaient plus polluées que ce à quoi Adriel s'était attendu, l'eau y était quasiment irrespirable, et les seuls objets de valeur couvrant les fonds marins avaient sans doute perdu de cette valeur le jour où ils avaient fini à la flotte. Adriel regrettait les coraux et autres plantes multicolores qui avaient peuplé son ancien foyer dans le Pacifique. Ici les créatures marines semblaient s'être faites à l'idée et dégageaient une certaine morosité bien trop contagieuse pour Adriel.

La famille Dazzlerain nouvellement installée, décida de rester pour quelques temps dans ces eaux des plus invivables, ce qui agaça profondément le jeune Adriel, qui ne rêvait que d'une seule chose: s'enfuir d'ici et voguer vers des eaux meilleures et plus pures. Une chance, toutefois, les Américains ne s'aventuraient guère trop loin du rivage, permettant ainsi à de nombreuses sirènes et de nombreux tritons de pouvoir vivre sans risquer d'être découverts.

Au bout de huit ans, néanmoins, Adriel n'eut plus du tout la patience et décida de rejoindre les eaux du Pacifique, qu'il avait toujours considéré comme son véritable foyer, sans se douter une seule seconde que ses parents le suivaient au coup de nageoire. Près des côtes de Seattle, cependant, il s'engagea vers des vagues un peu trop agitées, et finit par atterrir près d'une ville des plus étranges, si l'on éliminait le brouillard constant qui semblait l'animer et la camoufler.

Moonlight Falls. Ville au nom aussi étrange et fantaisiste que l'aura d'anormalité qui l'entourait. Adriel se rendit compte à ses dépends qu'il lui était impossible de la quitter, sans quoi la mort vous frappait. Non pas qu'il soit mort, sinon mon récit n'aurait servi strictement à rien. Non, il avait aperçu des habitants revenir en toute hâte, apeurés et paniqués, comme si une épée de Damoclès menaçait de leur tomber dessus à tout instant. Adriel dut donc se faire à l'idée: il ne partirait plus jamais de cet endroit. Heureusement pour lui, il y avait encore l'océan, et des congénères. Il ne serait donc pas seul, bien que la présence d'autres créatures surnaturelles le rendent curieux. Et puis, ici, au moins, il n'avait pas à cacher sa véritable nature, étant donné que d'autres avaient eux aussi des secrets et des choses à dissimuler.

Cela fait donc quatre ans qu'Adriel vogue dans les eaux de Moonlight Falls, tout en y vivant plus ou moins normalement. La nuit du bûcher aurait du être une aubaine pour lui et de centaine d'autres, afin de retourner chez eux. Toutefois, lorsqu'un ange se pointa et que des démons finirent par se taper l'incruste, Adriel dut se rendre à l'évidence: c'était mal barré.

La situation venait de changer, et pas en bien. Des succubes, des incubes, des anges et des démons de toutes parts. On se serait cru dans un mauvais remake de livre de Stephen King ! Adriel ne sait vraiment pas quoi penser de tout ça, mais une chose est sûre, si l'envie venait aux démons de gagner, Adriel ferait tout pour les rejoindre. La préservation de soi avant tout, tel est le dicton des tritons ! Et en plus, ça rime !

Bien évidemment, il ne sait pas encore que ses parents l'ont suivi et qu'ils ont fini par trouver Moonlight Falls. Les retrouvailles risquent de faire des étincelles, et pour des créatures marines tels qu'eux, ça n'augure rien de bon.