La pleine lune. Ce n'était finalement qu'un pauvre œuf argenté qui trônait dans le ciel, comme prêt à éclore, à vomir une abominable progéniture. Le nez en direction de ce ciel ébloui par les rayons argentés de cette presque rondeur qui semblait éveiller avant l'heure la créature purement animale avec laquelle je cohabitais le reste du temps. Le loup. Non, c'était pire que cela, un loup, ça n'allait pas dévorer le premier pécore inconscient qui trainerait dans les parages, voir même mon meilleur ami, ou bien encore Amara. Car la créature n'hésiterait pas, elle réclamerait sa viande, se nourrirait à même une chair quelconque. Il n'y aurait plus dans ma tête que cet instinct purement bestial et crucial du prédateur en chasse. Mon index et mon pouce s'emparèrent de la clope à mes lèvres, me laissant relâcher une taffe chocolatée, je sentais mes doigts trembler : je détestais la pleine lune. Cette salope qui n'attendait que l'instant précis pour me voler le contrôle de moi-même. Cette garce putride à la gueule de laquelle j'avais terriblement envie de cracher des immondices.

S'il y avait bien une chose que je n'avais pas appris à gérer, qui parvenait à me faire péter mon câble, c'était ce moment du mois, qui me rendait plus que nerveux, irritable, incapable de supporter bien des présences, tournant en rond comme un lion en cage qui avait l'impression que même sa peau était trop étroite pour le contenir. Mais ce n'était pas encore pour ce soir, demain le serait bien assez tôt, et pour trois nuits continues. Mes doigts se crispèrent autour de la cigarette, la froissant avant de la laisser tomber au sol pour me retourner, délaissant la bâtisse qui me servait de maison derrière moi, pour me mettre à courir en direction de l'appartement de Ian. Ian... celui qui avait été bien plus un frère, un protecteur de ma race, que mon père ne l'avait jamais été. Ce dégénéré, ce raté, n'avait pas su se relever de la mort de ma mère, alors qu'il n'avait même pas assisté à sa mort, lui. J'aurais sûrement été moins obtus dans mon opinion le concernant s'il ne s'était pas mis à boire et à devenir violent sous prétexte qu'elle avait cherché à me protéger. Ouais, mec, ouais je sais, je le revois trois nuits sur sept, qu'elle m'a fait passer avant elle et que ça lui a coûté la vie. Cela me réveillait encore en sueur, le sentiment d'impuissance crevant dans mon ventre comme un poignard acéré. Mais s'il y avait une personne chez qui je pouvais aller ces nuits particulières, c'était chez Ian, celui dont j'avais les clés, celui qui avait les miennes. Celui qui était ma famille quand mon père ne l'avait jamais été. Il était le repère concernant ma nature, le rempart concernant mes dérapages. Sauf que là, ce n'était même pas ça, juste un sacré ras le bol de cette merde de pleine lune. J'avais envie de tout envoyer se faire foutre, j'avais besoin d'une nouvelle clope pour me faire passer l'envie de me griffer pour endormir la nervosité grandissante de la bête qui grognait dans mes entrailles et réclamait de la viande. Elle avait faim de chair, elle avait soif de sang. C'était comme un tourbillon, un ouragan de sensations qui faisaient qu'à cette période du mois, je me faisais continuellement porter pâle à l'hôpital. Je ne risquais pas de me transformer avant l'heure, de perdre le contrôle et de sauter à la gorge de l'un de mes patients, mais putain de merde, qu'est-ce que ça me ferait du bien ! Et c'était ça l'emmerde du moment. Ouais... certains soirs, c'était vraiment la poisse d'être un loup-garou.

Arrivé finalement chez Ian, j'avais remarqué la lumière dans son appartement, aussi, lorsque je parvins à son pallier, je ne pris même pas la peine de frapper, pénétrant à l'intérieur de la pièce comme le loup nerveux que j'étais, mes doigts cherchant déjà mon paquet de clopes se trouvant dans ma poche pour en extraire une. « Putain j'en peux plus, ... » J'allais continuer à ouvrir les lèvres et balancer mon mécontentement hebdomadaire, quand mon regard se posa sur une blondinette qui ne me disait rien du tout, ni à la vue, ni à l'odeur, alors que j'inspirais délibérément une bouffée d'air pour y trouver une concordance quelconque. Mais rien. Rien. « C’est qui ? » Trois mots, dis avec une absence de tact à toute épreuve et un mépris sarcastique se voulant le seul rempart à la nervosité grandissante de l'être que j'étais. Une clope vint trouver le rebord de mes lèvres, mon zippo l'allumant d'un geste vif et tremblant, comme un vulgaire camé en manque de dose qui tentait de palier par un substitut. « Ton moyen de te détendre ? »