Je n'aime pas beaucoup sortir, je dois l'admettre. Je passe mes journées chez moi à l'abri du soleil, tantôt en dormant tantôt en m'occupant du mieux que je peux. La nuit je ne suis guère plus actif, certes je sors pour me nourrir de sang, même si je ne chasse plus beaucoup ces derniers temps. C'est un sacré avantage que d'avoir des donneurs volontaires : on perds moins de temps et moins d'énergie. Et puis c'est toujours plus agréable d'avoir une victime consentante, moins de cris, de pleurs… J'aime prendre mon repas dans le calme, pas dans le bruit et dans l'agitation. Et lorsque je ne passe pas voir mes petits donneurs de sang, je passe mes nuits à lire. Seulement j'ai plutôt bonne mémoire alors bien que j'ai des murs et des murs couverts de livres, régulièrement j'arrive au moment où j'ai lu tout ce que je possédais comme romans, essais ou recueil de poésie. Et aujourd'hui c'est le cas. Je laisse mes doigts courir le long des reliures fatigués. L'odeur de la poussière et du papier usé envoûte doucement mon odorat, me laissant songeur tandis que j'embrasse du regard les titres familiers des ouvrages. Doucement j'exhale un soupir, décidément il est temps pour moi de rafraîchir ma bibliothèque. Je me saisit de mon long trench noir et de mon écharpe, et laisse derrière moi ma demeure vide tandis que je pars à la recherche d'une librairie encore ouverte.

Tel un chasseur, je scrute chaque devanture, à la recherche de la boutique. Je sais qu'il y en a une, dans ce quartier. Un librairie avec des horaires adéquates à ma nature de vampire. Il me semble l'avoir repéré du coin de l'oeil la dernière fois que je suis sortis. Perce alors dans l'obscurité un léger trait de lumière. La voilà. Je finis par la trouver. Sans faire de bruit je pousse la porte et suis trahit par la clochette qui carillonne juste au dessus de ma tête. Je déteste cette manie, le son cristallin des clochettes m'agresse à chaque fois les tympans. Du bout des doigts je l'attrape pour la faire taire. J'apprécie alors l'odeur du papier, neuf et ancien, qui règne dans la petite librairie. J'embrasse du regard les nombreux rayons, appréciant par avances les nombreuses découvertes littéraires que je vais y faire. Je sens alors quelqu'un s'approcher de moi, je me retourne avant qu'elle ne prononce le moindre mot. Son odeur et son comportement m'apprends tout d'elle. Elle n'est pas humaine, enfin pas complètement. Elle abrite un démon. Drôle de créature. Mieux vaut rester méfiant. Elle me demande alors si elle peut me renseigner. Je fronce les sourcils. Ai-je l'air de quelqu'un de perdu ? Peut-être. Anastasia se plaisait à me dire que je ressemblais parfois à un chaton égaré, ce que je n'aimais pas entendre. Je suis tout de même assez grand pour choisir un livre par moi-même. Je n'ai pas besoin de l'aide d'une humaine et encore moins d'un démon. Je pince les lèvres avant de lui répondre d'une voix grave :

"спасибо, merci mais je vais m'en remettre à mon jugement. Si jamais j'ai besoin de vos lumières je reviendrais vers vous."

Je lui adresse un sourire poli avant de commencer à me promener dans les rayons, promenant mon regard. Je ne cherche pas de genre en particulier, c'est l'instinct ou l'intuition qui me dicte quoi prendre. Une belle couverture, un nom familier, un titre qui me touche, un auteur que j'apprécie, voilà ce qui me permettre de faire un choix. Je pars du principe qu'il faut parfois savoir se laisser bousculer dans ses habitudes de lecture pour apprécier le plaisir de l'aventure littéraire. Un livre de recueil de haikus attire alors mon attention. Doucement je l'attrape, caresse sa couverture du bout des doigts et feuillette quelques pages. Je le glisse sous mon bras et continue mes divagations. Après un bon quart d'heure, je me retrouve avec une petite pile de livres. D'un pas silencieux et gracieux je retourne voir la succube. Je pose les livres devant elle, cette dernière me regarde quelque surpris par le nombre de livres que je prends. Je lui demande alors :

"Простите, excusez moi pour mon attitude de tout à l'heure. Je sais que je peux être quelque peu… désagréable. Je m'en excuse encore une fois en espérant que vous ne m'en tiendrez pas rigueur. Je ne sors pas énormément et je dois avouer que j'ai parfois du mal quand il s'agit d'agir en société."

C'est le prix à payer lorsque l'on s'exile volontairement du reste du monde. On finis par oublier comment ce dernier fonctionne.

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