Le soleil se couchait à peine pour laisser place à la nuit quand Gordon se réveilla. Repoussant le dessus de son cercueil, le vampire étira ses bras, puis se mit debout sans se presser. Lorsqu'il était nouveau né, il avait tendance à abuser de sa vitesse et de sa force surhumaine, s'amusant à des mouvements brusques et rapides. Mais des années avaient passé et il avait finit par retrouver le calme et la patience qui le caractérisait. Il était tout à fait probable, également, que de nombreux vampires en viennent à moins se presser avec le temps, prenant conscience du temps qu'ils allaient passer à fouler cette terre. Puisqu'il lui était permis de le faire, autant que le Rochester profite de chaque heure qu'il vivait s'en s'inquiéter outre mesure des jours, mois et années à venir, sans se soucier des petits tracas tels que la vieillesse, qui arrivait avec plus de lenteur et plus de douceur que normal. Il avait vieilli depuis qu'il avait été mordu, plus que certains autres vampires. Mais développement ralenti des vampires ne s'expliquait pas et il arrivait que certains finissent pas mourir de vieillesse, certains encore vieillissait plus vite pendant les dix premières années suivant leur transformation, puis ne bougeaient quasiment plus à partir de là. C'est ce qui s'était produit pour Gordon qui avait peut-être même vieillis plus vite pendant les vingts années suivant sa transformation mais qui n'avait presque pas bougé depuis lors. Au début, Pénélope et lui s'étaient inquiétés de le voir ainsi continuer à changer comme s'il était toujours humain. Mais leurs inquiétudes finirent par se taire.

Gordon avait aménagé dans un appartement dans la quartier de la vallée et ça faisait une semaine qu'il y était. L'endroit était déjà à peu près meublé mais il espérait le rendre plus à son goût dans les jours qui allaient arriver. Il était néanmoins bien placé et il était content d'avoir pu trouver un logement dans le quartier des siens. Il ne cultivait certes pas un grand sentiment d'appartenance à une communauté, mais il fallait reconnaître qu'il était plus agréable, pour un vampire, de vivre dans un quartier qui était vivant de nuit ... On se sentait moins seul. L'habitation avait une belle chambre, une salle de bain de taille raisonnable, une seconde chambre qui serait bientôt aménagée en bureau, et une pièce à vivre avec cuisine ouverte. Le tout était plutôt agréable à vivre. Après avoir grignoté de la brioche, bu trois tasses de sang acheté dans un magasin pas loin, Gordon alla s'habiller.

Il n'avait pas pour habitude de sortir toutes les nuits, après tout il était écrivain, compositeur et pianiste, il n'avait pas forcément besoin de sortir pour effectuer les activités qui le tenaient à coeur. Mais depuis qu'il était arrivé à Moonlight Falls et qu'on lui avait fait comprendre qu'il ne pourrait en partir, il avait voulu se faire assez rapidement un avis sur chacun et comprendre les rouages de cette mystérieuse ville. C'était une manie qu'il avait et il avait assez vite réussis à récolter pas mal d'informations. Mais pour ce faire, il lui avait fallu passer toutes ses nuits dehors, sous les beaux rayons de la lune. Il n'avait pas encore mis les pieds au crépuscule, mais comptait bien le faire dans les jours qui venaient. En ce mois de février, il faisait assez froid, semblait-il, mais s'il y avait bien un côté pratique à être mort c'est qu'en été, la fraîcheur de notre corps nous permettait de supporter, et en hiver, vous étiez presque à la température extérieure. Pas besoin d'acheter maints et maints vêtements chauds, vous pouviez vous concentrer sur ce qui vous plaisait d'apparence, uniquement.

Il descendit au niveau de la rue pour réfléchir au lieu où il pourrait se rendre. Il avait peut-être bien quelques courses à faire mais cela pourrait attendre la nuit prochaine. Autant aller au café VanGould, voir s'il n'y aurait pas là quelque chose à apprendre ou quelques bonnes rencontres à faire. En se dirigeant vers le café, Gordon remarqua une silhouette qu'il avait déjà eut l'occasion de croiser. Andréas Jefferson, un humain arrivé en ville bien plus récemment que lui. Gordon avait une excellente mémoire malgré son âge qui commençait à être plus qu'avancer et, bien qu'il n'ait croisé qu'une fois le nouvel arrivant, il s'en souvenait parfaitement. Le crépuscule, où il poserait bien un jour les pieds, n'était pas bien loin. Une fois arrivé à sa hauteur, il prit la parole, le visage impassible, comme à son habitude. « Mr Jefferson, ne craignez donc vous rien pour être si prêt du Crépuscule alors que minuit est passé ? » Gordon ne savait même pas si l'humain se souvenait de lui et il ne lui parlait en réalité uniquement parce qu'il était arrivé récemment et qu'il serait plus facile de suivre son évolution dans la ville et ses relations avec les autres habitants s'il s'y mettait maintenant.

Je suis plutôt le genre "oiseau de nuit" voyez-vous : j'aime traîner jusqu'à pas d'heure dans les bars, profiter de la faune nocturne et des plaisirs de la nuit. Alors je pensais que dans ce bled qu'est Moonlight Falls la nuit allait être calme et paisible, mais ça c'était avant que je mette les pieds dans ce quartier de nuit. On se croirait presque à Londres dans un bar réputé du centre-ville, je me sentais presque à la maison. Après quelques verres et quelques numéros dans ma poche, je décide de quitter le bar, parce que boire c'est sympa mais sans pote c'est un peu triste quand même. Et puis dans le coin personne ne semble pas ouvert à me lâcher le moindre bout d'information. Donc bon c'est quelque peu déçu que je quitte le café, je n'ai pas l'impression d'avoir perdu ma soirée mais tout de même : c'est bien beau de flirter avec la faune local mais si je n'apprends rien, je reste un peu sur ma faim.

L'air frais de la nuit me surprends au moment même où je passe la porte de l'établissement. Le froid me pique légèrement la peau, la prochaine fois je m'habillerais un peu plus chaudement, se serais dommage de choper la mort. Je remonte le col de mon manteau lorsque j'entends quelqu'un me demander ce que je fais dehors aussi tard. Je lève les yeux vers mon interlocuteur et reconnais alors vaguement l'inconnu. Gordon je crois. Il me semble que l'ai croisé quelques jours auparavant et je dois avouer que je suis à la fois surpris et impressionné qu'il se souvienne de moi. Il a une sacrée mémoire le vieux chacal dis donc. Seulement vieux frère, j'aime pas trop qu'on me dise quoi faire. C'est gentil de se soucier de moi, mais ne prends pas ce ton protecteur et hautain avec moi, car ça risque de mal finir mon pote. Et oui, je ne crains rien. Je suis sans peur et sans terreur. Je suis un bonhomme moi, un vrai !

"Gordon c'est ça ?"

Je ne lui laisse pas le temps de répondre, ouais je suis comme ça, je pose des questions mais j'attends pas votre réponse, c'est pas que j'en ai rien à foutre, c'est juste que… c'est naturel chez moi. Le prenez pas mal surtout hein. Bref. Je m'approche de Gordon et plante mon regard dans le sien. La vache il est grand le salaud, il a facilement une petite dizaine de centimètre par rapport à moi. J'aime moyennement ça, je suis déjà plutôt grand mais là… Je me sens petit. Et j'aime pas tellement ça.

"Vous avez peur que le Grand Méchant Loup me dévore ?"

Moi, un sale con ? Mais pas du tout. Je suis juste une bonne grosse tête à claques, je peux pas m'en empêcher. Bon je dois avouer que ça peut être un handicap mais parfois ça paye. Et dans ce cas j'ai l'impression que sa va marcher. Comment je le sais ? L'instinct, Messieurs, l'instinct.

Pour un vampire, nul besoin d'attendre que l'autre ne parle pour s'en faire une idée. Lors de leur première, et rapide, rencontre, Gordon s'était déjà rendu compte qu'Andréas était d'une nature curieuse, plutôt fouineuse, même. Mais rien de plus, vu qu'ils n'avaient pas vraiment eut l'occasion d'échanger, si ce n'était leurs noms. Lorsque l'homme se retourna vers lui, Gordon le vit l'étudier un instant, sans doute pour se le remettre en mémoire. Vu qu'il ne répondait pas dans l'immédiat et que les premières pensées sont toujours celles qui intéressent le plus notre britannique, ce dernier alla directement les chercher, sans demander la permission. Au début, les victimes dont il lisait les pensées s'en rendaient compte, puisqu'il le faisait avec violence, mais avec les années, il s'était amélioré et les lisaient maintenant avec autant de facilité que s'il avait voulu lire le panneau publicitaire vantant le tout dernier film, tourné, réalisé et diffusé à Moonlight Falls. On ne pouvait pas dire que cet humain était insipide, lorsque l'on écoutait ses pensées, il avait du caractère et un sacré vocabulaire. En entendant qu'il était un bonhomme, un vrai, Gordon ne pu s'empêcher d'esquisser un sourire. Il laissa là les pensées de l'homme, il savait pour le moment ce qu'il voulait : Andréas était téméraire, mais comme beaucoup d'humains de ce type, il avait un côté parfaitement idiot, selon le vampire.

Andréas prit alors la parole, sans pour autant lui laisser le temps de parler par la suite. Il n'y avait pas grand chose à dire, de toutes manières. Qu'avait-il fait si ce n'était lui dire son prénom ? Sur ce coup, il avait d'ailleurs de la chance car Gordon avait rencontré tout un tas de vampires, et même d'humaines, qui n'appréciaient pas qu'on les appelle par leur prénom, mais avec Gordon, c'était plutôt le contraire ... Il préférait qu'on le nomme par son prénom, étant donné que c'était un prénom inventé, qu'il s'était lui-même attribué et que, par conséquent, il définissait bien plus ce qu'il était que son autre prénom ou son nom de famille.

Alors, l'homme s'approcha de Gordon, d'assez prêt. Le britannique sentait parfaitement son odeur et il comptait bien la retenir, à moins qu'elle ne lui serve à rien ... c'est vrai, s'il venait à mourir, retenir cette odeur ne lui serait d'aucune utilité. Mais on verrait par la suite. L'humain planta son regard dans celui du vampire et ce dernier en profita pour se plonger dans ses pensées avec plus de facilité. La première phrase qu'il perçut aurait pu le faire sourire s'il s'était laissé aller. Mais le vampire fut satisfait de voir que, malgré ce qu'il avait penser, cet homme s'en tenait à sa première attitude. Au moins était-il insolent et direct jusqu'au bout des ongles. « Dans les parages, j'aurais plus peur de Dracula, si vous voulez partir sur les comparaisons avec les contes et légendes ... » Sans reculer, ni avancer, Gordon darda sur Andréas un regard fort. Hésitant un instant à lui insuffler un sentiment de peur en s'insinuant dans son esprit, il se dit qu'il n'avait pour l'instant pas d'utilité à faire de telles choses. Cet humain l'amusait plus qu'il ne l'agaçait, il suffisait qu'il ne dérape et ne se mette à l'irriter pour que la situation ne change. « ... pour l'heure, si vous deviez finir dévoré, n'ayez pas de doute sur l'auteur de votre mort. » Un sourire naquit sur le visage de l'anglais, parce qu'il savait qu'il était à la fois sérieux et spécieux.

Il finit par se reculer légèrement, replaçant une distance raisonnable entre eux. En ce début de nuit, il n'était pas sorti de chez lui dans l'idée de chasser ou de se nourrir, sinon Andréas serait déjà mort. Nul besoin de se tenter en étant trop proche de la carotide du jeune homme. « Mais ne précipitons pas les choses. Qu'est-ce qui vous amène à Moonlight Falls ? La nourriture de votre espèce se fait rare dans les parages ... » Et c'était bien pour ça qu'il ne fallait pas la gaspiller.

Dites moi que j'ai mal entendu, ou mal compris, je ne sais pas mais n'importe quoi. Je suis capable d'encaisser bien des trucs, et même de croire à des théories quelque peu hors du commun. Mais là je ne suis pas tellement sûr d'apprécier ce que ce type est en train de sous-entendre. Mais alors pas du tout. Au début je pensais qu'il me suivait dans mon délire de contes et légendes, mais là… Je commence à craindre un peu pour mon cul, mon corps entier me hurle de me tirer loin de ce mec. Seulement je suis incapable de bouger, pourquoi ? Mais parce que ma curiosité va finir par avoir ma peau. Je suis sûr que ce seras l'épitaphe qui ornera ma tombe : Andréas, curieux à en crever. Non mais sérieux, ce que je peux être con parfois. Gordon que je connais à peine, viens juste de sous-entendre qu'il allait s'occuper de mon cas de façon plutôt définitive et moi je reste là, à le regarder comme si tout allait bien. Vous savez ce qui est le pire avec moi ? C'est que je reste en toute occasion insolent jusqu'à la moelle, et plus je suis dans la merde plus je deviens effronté. Mes parents ont peut-être raison, je suis peut-être bien une belle tête de con. Je lui réponds d'un ton insolent à souhait, en arborant mon plus beau sourire et en comblant l'espace qui nous sépare. Je me retrouve nez à nez avec cet inconnu, et je peux pas m'empêcher de faire l'idiot :

" Vous me comparez à de la nourriture ? Je suis si attirant que ça que vous voulez me croquer ? Je vous préviens, je ne suis pas un garçon facile…"

J'ai envie de me mettre des claques. D'ailleurs si quelqu'un pouvait le faire à ma place se serais pas de refus. Je cherche vraiment les ennuis… Mais bon à quoi bon vivre si on ne sait pas apprécier la proximité du danger ? A rien. Je me répète peut-être mais je suis un homme d'action, je déteste m'ennuyer c'est pourquoi je fais autant de conneries. Chacun ses passe-temps me direz-vous. il n'empêche que cette fois je pense que je joue un peu trop avec le feu. Je suis un parfait étranger, et ce dans une ville plutôt glauque, et le pire c'est que je suis complètement seul. Personne pour surveiller mes arrières. Et ça mes potes, c'est jamais bon. Faut toujours avoir une solution de replie et actuellement j'ai aucun plan de secours. Je ne veux pas faire mon oiseau de mauvaise augure, mais ça sent mauvais pour mon matricule. Il va falloir que je remédie rapidement à ce problème. Ou alors il faut que j'arrête de me comporter comme un sale gosse. C'te blague, plutôt crever.

Ce type ne me fait pas particulièrement peur, bon ok si il me fout un peu la trouille, mais comptez pas sur moi pour l'avouer. Si je veux garder mon image de tombeur sans crainte, vaut mieux que ce genre de truc reste entre nous. Donc silence hein ! Alors comme ça le grand Gordon se demande quand même ce que je fais par ici… Hum intéressant… Il a pas l'air du genre à se préoccuper de tout le monde, loin de là, alors j'ai du sacrément lui taper dans l'oeil pour qu'il en vienne à se demander ce que je fais dans le coin. Après il n'est pas impossible que je sois en train de me monter un film, ça m'arrive aussi ce genre de chose. Mais entre nous, je n'y crois pas. Je suis sûr qu'il veut quelque chose de ma part, et je dois avouer que plus les minutes passent, plus je considère cet homme comme une source d'informations potentielles. Ou mieux : mon putain plan de secours. Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs, voyons déjà ce qu'il a de beau à me proposer.

"A votre avis Gordon, qu'est-ce qu'un fringuant journaliste comme moi pourrais faire par ici ?"

Oh au hasard je dirais : révéler les petits secrets honteux de chacun ? Oui je l'avoue je suis un chacal, mais c'est ce qui fait mon charme.

Alors que Gordon s'amusait de l'allusion au grand méchant loup d'Andréas, il comprit, en voyant sa réaction, nul besoin d'aller creuser dans ses pensées, qu'il n'était pas forcément au fait de ce qui se passait dans cette ville. Il devait n'être là que depuis vraiment peu de temps pour ne pas s'être rendu compte de qui en étaient les habitants. Et surtout, il commençait sûrement à prendre conscience qu'être en pleine nuit, seul avec Gordon, n'était pas forcément à son avantage et qu'il n'était peut-être pas en position de force. Se dire que l'homme qu'il avait en face de lui réalisait peut-être ça de lui-même sans que le vampire n'ait a pénétrer son esprit pour l'embrouiller lui procurait un certain plaisir. Mais Andréas ne changeait pas de directive, ni même ne cherchait à s'enfuir. Cet homme était bien accroché, il pourrait faire une proie amusante. Il n'était pas là depuis longtemps, il n'y aurait pas de mal à la traquer de manière tout à fait officielle, sans passer par des moyens détournés. Gordon se doutait qu'il n'aurait plus le droit à ce genre de divertissement dorénavant, ou bien moins souvent, et ça l'attristait. Il ne devait pas laissé passer ses chances de divertissements.

Toutefois, lorsque Gordon précisa sans détour qu'Andréas n'était rien de plus qu'un dîner encore en vie et tout frétillant pour lui, bien qu'il utilisa un terme plus sobre, ce dernier lui sourit en retour. Allant de surprise en surprise quant au caractère insolent mais inconscient de cet humain, Gordon ne s'en offusqua pas. En entendant ses mots, Gordon le détailla des pieds à la tête. Son regard était perçant et il l'examinait en détail. Soit, il n'était pas moche, en réalité, mais il n'y avait pas fait attention auparavant et ne le ferait sans doute pas beaucoup plus maintenant. « Un garçon facile, peut-être pas. Une proie facile ... je ne jurerais de rien si j'étais vous. » Encore que, s'il devait être tout à fait sincère, Gordon pensait même qu'il n'était pas du genre à attendre d'être amoureux pour finir au lit. Mais il ne servait à rien de le contredire entièrement, il était bien plus drôle de jouer sur les mots. D'autant que s'il voulait le contrarier réellement, il n'aurait pas grand mal à le faire lui-même se contredire en s'insinuant dans ses pensées. Mais Gordon n'utilisait que rarement cette particularité qui était la sienne pour arriver à ses fins, n'aimant pas la facilité. Il ne l'utilisait d'ailleurs jamais pour obtenir de quelqu'un qu'il termine dans son lit. Ça aurait pourtant était un moyen de bien s'amuser en réponse à ce "garçon facile". Mais en avait-il seulement envie ? Non. Seul le sang de cet homme l'intéressait.

Il fut alors question de la venue du jeune homme à Moonlight Falls. Une particularité de Gordon : ne jamais tuer sans connaître sa victime. Il ne lui était que rarement arrivé de tuer sur un coup de tête. Il aimait pouvoir prendre plaisir à se nourrir et pour cela, il avait besoin d'en connaître le plus possible sur sa victime pour appuyer là où ça fait mal lorsqu'il se lassera et se décidera enfin à la croquer. Il ne changerait donc pas ses habitudes sous prétexte qu'il était bloqué ici maintenant. « Si vous voulez mon avis ... Un fringant journaliste comme vous est bien idiot pour venir ici. Les nouvelles tournent vite en rond dans une ville fermée. » Et s'il ne se passait pas quelque chose d'étonnant qui bousculerait les habitudes de chacun, Gordon se doutait bien qu'il aurait à supporter l'ennuie. Il avait encore à découvrir certaines choses sur les habitants du lieu mais il savait qu'une fois cela fait, l'ennui le prendrait à nouveau ... Sauf si quelqu'un venait mettre son grain de sel dans tout ça, mais parfois, il ne faut pas trop espérer. Mais cette phrase lui avait donc appris qu'il était journaliste. Était-il venu de son plein gré s'enfermer dans cette ville dont nul ne pouvait sortir ? Cette attitude serait étonnante, en tous cas, Gordon ne pouvait la comprendre. À moins qu'il n'est pas eut conscience de cela. Un mouvement de la tête. Le regard de Gordon qui part vers le ciel, bien couvert. Mauvais signe, il s'ennuie. La dernière n'avait pas été assez osée pour qu'il ne la trouve intéressante. « Ne me dites pas que vous êtes un idiot ... Je préfère ma nourriture épicée. »

Une proie ? Moi ? Non mais mon grand tu rêve là. Je ne suis pas un bout de viande ok ? Il veut qu'on se batte c'est ça ?! Non plus sérieusement il commence à me taper sur le système avec ses réflexions à deux ronds celui là. J'ai l'impression qu'il me prends pour un con et je n'aime pas ça. Je lui collerais bien une mais ce serait idiot de ma part, déjà parce que je le soupçonne d'être assez costaud malgré son apparence mais aussi parce que ce n'est pas la bonne tactique à avoir avec lui. Ce mec ce qu'il aime, c'est les jeux de manipulations, de faux semblants. Bref c'est un intellectuel, mais si je pense qu'il est capable d'en venir aux mains si la situation l'exige. Donc mon pote, va falloir la jouer finaude avec ce gars, sinon je sens qu'il va m'arriver des bricoles. Sa réponse quand à ma présence ici ne me plaît guère : il n'hésite pas à me traiter d'idiot. Alors là mon pote tu viens de te mettre à dos la mauvaise personne. Mieux vaut m'avoir dans ta poche, je peux être quelqu'un de très désagréable si l'envie m'en prends et pire : un adversaire redoutable. Mieux vaut pas que tu me cherche mon pote, je pourrais te détruire avant que tu n'ai eu le temps de dire "tarte aux pommes". Enfin pour le moment cette menace reste théorique puisque dans la pratique tout ce que je connais de ce type c'est son nom… Bon ok, je n'ai pas grand chose contre lui, mais je compte bien y remédier. Compte sur moi l'ancien. Un court silence s'installe entre nous avant qu'il n'ajoute quelque chose d'autre.

Encore un sous-entendu étrange… bon si je passe outre le fait qu'il vient une fois de plus de dire que je suis un crétin, ce qu'il n'emportera pas au paradis, je n'aime pas trop cette manie qu'il a de me comparer à de la nourriture. Il veut se la faire Hannibal avec moi ? Eh bien mon pote compte pas sur moi pour Will, je vais pas te laisser le plaisir de te servir de moi. De plus il ose me dire qu'il me trouve ennuyeux, il se fait vraiment pas chier celui-là. Il est temps que quelqu'un lui rappel la politesse à ce vieux con.

"Oh vous savez je ne suis pas ici pour les bruits de couloirs entre voisins, non ce qui m'intéresse c'est ce que cette ville cache. Vous devriez vous voir tous, c'est évident que vous cachez un secret, un truc plutôt important je dois avouer. À commencer par vous Monsieur Rochester. Sous vos faux airs de gentleman blasé se cache quelque chose de plus sombre et de bien moins élégant, pas vrai ? Vous tentez de vous faire passer pour quelqu'un sans histoire et de net mais moi je peux le voir le monstre en vous. Alors avant de m'insulter, prenez le temps de me connaître. Vous passerez moins pour un gros con aigri."

Merde c'est dit. Il m'énerve celui-là avec ses remarques à la con, à me prendre de haut jusque parce qu'il est plus âgé que moi. Non mais, je vais lui apprendre la vie à celui-là. Et si jamais il m'insulte une fois de plus, je me gênerais pas. Je lui en collerais une. J'attends tout de même de voir ce que mes paroles vont lui faire, histoire de voir si je vais réussir à fêler son masque d'indifférence. Car je suis bien curieux de savoir ce qu'il cache là-dessous, au plus profond de son être.

Il ne fallait pas être devin pour voir que la discussion ne convenait guère à son interlocuteur. Gordon, de son côté, prenait un malin plaisir à jouer avec les nerfs, visiblement bien réactifs du jeune homme. Il n'était pas toujours comme ça, il lui arrivait de traiter avec égards les êtres humains, il n'avait rien contre eux … Ce n'était pas sa faute s'il lui prenait des envies de chasse et de traque de temps à autre, il fallait bien qu'il trouve un peu de distraction à la vie. Déjà, avant qu'il ne soit transformé, il n'était pas le plus agréable des hommes. Pétris de bonnes manières et d'honneur, il avait tout de même conservé ses deux qualités là. Mais être bien élevé ne signifie pas être bon pour autant. Gordon avait toujours su profiter de ses bonnes manières au dépend des autres. Dans le cas présent, il était clair que son interlocuteur était conscient de son jeu et au final, c'était même cela qui le rendait intéressant. Bien qu'il le traitait d'idiot ouvertement, Gordon ne le pensait pas forcément complètement … Jusqu'à ce qu'Andréas ne se remette à parler. D'où tenait-il que les habitants de cette ville cherchaient à cacher quoique ce soit ? Dès son arrivée, Gordon avait comprit de quoi il retournait dans les parages. Entre des fées, des lycanthropes, des sorciers, des vampires et des sirènes, il ne fallait pas longtemps pour percuter … Selon lui, cela dit. Et il est vrai qu'il était coutumier des êtres surnaturels, après tout, ce n'était pas le cas de tout le monde et il était assez courant que l'esprit humain cherche à rejeter ce qu'il ne veut pas admettre, ce qui lui paraît impossible. Gordon se dit alors que l'esprit d'Andréas avait déjà bien comprit ce qui se tramait en ville, mais que refusant d'appréhender ce que cela sous-entendait, il lui faisait passer le message qu'on lui cachait quelque chose. « Vous ne savez vraiment pas où vous avez mis les pieds, n'est-ce pas ? » Là, Gordon était réellement surpris, mais surtout amusé. Affichant pour la première fois de la conversation un vrai sourire, sincère, tout en haussant le sourcil gauche, il se décala un peu sur la gauche, laissant plus d'espace à cet humain qui à force de curiosité venait de se terrer dans la ville la plus hostile pour sa vie, s'il en est. C'était dans des moments comme celui-ci qu'il arrivait encore à s'émerveiller du genre humain. Naïf mais méfiant, et qui, même lorsque le soupçon n'était plus permis, continuait à ne faire que douter, sans jamais se résoudre à accepter la vérité.

Une question naquit dans la tête de Gordon. Devait-il expliquer à Andréas que nul ne cachait quoique ce soit … À moins qu'ils ne le cachent à la vue et au nez de tous, entre tour de passe-passe pour les sorciers, crocs et fruits de sang chez les vampires, ailes chez les fées, et j'en passe. De toutes manières, Andréas s'en rendrait compte bien assez tôt. Et Gordon n'aimait pas être traité de gros con aigri, car il n'était ni gros, ni aigri. Con … Il préférait se garder d'émettre un avis tranché sur la question car il savait que son attitude déplaisait à beaucoup. « Mais ouvrez les yeux. La ville ne cache rien, vous refusez juste de voir ce qui est évident. » Et il ne cachait encore moins de choses que la ville, car au final, il savait qu'il y avait bien des secrets qu'il avait envie de découvrir. Depuis qu'il était ici, il ne jouait plus à l'humain comme il pouvait le faire dans le monde extérieur, alors non, il ne cachait rien … Pas même les meurtres et sa propension à tuer avec aisance et sans regret autrui.

Il s'approcha une nouvelle fois d'Andréas, se penchant vers lui. Ses yeux plantés dans le regard du jeune homme, il eut un sourire se rappelant les pensées qu'il avait perçu quelques instants auparavant. « Vous ne me détruirez pas, vous serez mort avant d'avoir dit tarte aux pommes. » Il n'avait pas de secret ici, ça ne lui servait à rien. Il cru bon de rajouter, tout en s'écartant une nouvelle fois. « Par ailleurs, je préfère le terme atypique à celui de monstre. » Bien, maintenant il s'agissait d'attendre de voir si l'homme percutait ou s'il s'obstinait à lui poser des questions ou lui parler d'un secret qui n'existait pas ... Après, on aviserait.

Tarte aux pommes.
Je tique. Je ne me souviens pas l'avoir dit à haute voix. Comment sait-il ? Ce n'est pas possible, à moins qu'il ne soit capable de lire dans mes pensées. Mais aucun être humain n'est capable de faire ça… À moins que.
Et là je prends une putain claque de retour à la réalité.
Tout semble se figer autour de moi. Je prends soudain conscience de tout.
Les pièces du puzzle s'emboîtent parfaitement. Tout deviens plus clair. C'est comme si je retrouvais subitement la vue. La vérité m'aveugle, me hurlant ce qui se trouvait pourtant sous mes yeux. Personne ne cache rien, c'est moi qui me cachait les yeux. Personne ne taisait rien, c'était moi qui me bouchait les oreilles. Toutes mes illusions volent en éclats, ma perception de la ville se brise pour donner naissance à la réalité. Tout est vrai. C'est moi qui me suis bercé d'illusions et de contes de fées. C'est moi l'enfant qui ne voulait pas voir le monde. J'avais tort. Et Gordon vient de m'ouvrir les yeux.
Des monstres. Tous. Vampire. Loup-garous. Fées. Sirènes. C'est vrai.
Je vacille. Il faut que je me calme. Paniquer n'est pas la solution. Mieux vaut relativiser. Je le tiens enfin mon super reportage. Ouais faut se dire ça.

Mon regard n'avait pas quitté celui de Gordon. Je perds mes écailles en ce qui le concerne. Je le vois comme il est réellement. Un homme à la peau pâle, vivant la nuit, menaçant. Un vampire. Je frissonne malgré moi. Il ne faut pas que je sois faible, sinon je vais devenir sa proie. Même si à mon grand regret, je pense que c'est déjà le cas. Et j'ai bien peur qu'aucun Van Helsing ne vienne me porter secours. Même si j'aurais préféré Buffy mais bon… Peu à peu je retrouve mon aplomb naturel, je suis toujours sous le choc de cette révélation, mais je ne peux pas me permettre de perdre le contrôle. Au contraire. Seulement je réalise, Gordon peut lire dans mes pensées. Alors depuis le début il… Oh. Salaud. Tu devrais avoir honte. Méchant garçon. Bon ok pas très avisé mais bon tant pis. Si je peux même plus penser en paix… Vu que tes dans ma tête, on applique mes règles. Alors pas de censure mon pote, ici on parle à coeur ouvert, que ça te plaise ou non. Te voilà prévenu, vilain curieux.

Si il peut lire dans mes pensées, il doit donc savoir que j'ai besoin de quelqu'un. D'un partenaire. D'une alliance. J'ai besoin de protection et d'informations. Peut-être que je possède quelque chose qui peut l'intéresser…. Du sang ? Si y'a que ça, je peux toujours jouer les dons du sang pour lui. Je me rends alors compte que nous restons là, à nous regarder en chiens de faïence sans rien dire, et ce depuis quelques minutes déjà. Je prends alors conscience du silence qui pèse autour de nous. Je le trouve dérangeant. Je prononce la première chose qui me passe par la tête :

"Me tuer serait une grosse erreur mon pote, je suis sûr que pourrais me rendre utile."

Je ne suis pas sûr qu'il se rende compte à quel point je pourrait lui être utile. Je pourrais devenir ses yeux pendant la journée et la nuit je lui servirais de casse-croûte. Je suis bon dans le métier, il ne sait pas à qui il a à faire. Un patron dans le milieu. Non vraiment, je suis sûr qu'on arriverait à s'entendre sur un accord, un partenariat. Je suis l'homme qu'il lui faut. Je sais me rendre indispensable et il va vite s'en rendre compte. Bientôt il ne pourras plus se passer de moi. Et l'inverse risque d'être vrai. C'est le défaut mais c'est mieux que de se retrouver tout seul. Et ça je pense que même lui n'aime pas ça. Tout le monde à besoin d'aide, et je suis peut-être celle qu'il lui faut. Finalement peut-être que le hasard fait bien les choses. Ou pas. Reste encore à savoir si ce deal le branche ou pas. Alors monsieur le vampire, j'espère que tu es branché sur la fréquence "Radio Andréas", parce que je te propose un deal plutôt alléchant. Avec possibilité de toucher ta première gorgée de sang ce soir. Alors ?